4. Le partage du pain et du vin

La messe et le sacrement eucharistique

Au cours de nos messes, autour d'une table, nous célébrons le sacrement eucharistique, qui a pour objet, en évoquant les paroles de Jésus à la dernière Cène (son dernier repas) et en partageant le pain et le vin comme il le fit, et comme il nous a demandé de le faire, de le rendre présent, et, en y communiant, de nous rendre participants à sa vie divine avec ce que cela implique d'amour universel.

La dernière Cène et l'Evangile

La célébration eucharistique est un rite qui reproduit quelques moments de la dernière Cène et c'est considéré comme le plus important des sacrements. On n'a pas le film des événements, mais on nous en a rapporté quelques paroles et quelques gestes. Quel rapport avec le message central de l'Evangile?

Un fil rouge parcourt l'Evangile, dont l'essentiel peut tenir en ces paroles:

1 ) "A ceci on vous reconnaîtra pour mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres "

2)Après le lavement des pieds: "Faites-en autant" (un geste de service)

3)A Emmaüs: "Ils le reconnurent à la fraction du pain" (un geste de partage).

Traduction et signification de quelques mots

Certains mots rendent obscur le contenu de ce sacrement, j'en retiendrai deux qui méritent un commentaire: corps et messe.

a) Mon corps, c'est moi . "Prenez. et mangez, ceci est mon corps" . Les paroles retenues "mangez mon corps" paraissent souvent incompréhensibles et, fût-ce à titre symbolique, évocatrices de magie ou d'anthropophagie. Or elles ont sans doute été exprimées en araméen, ce qui permettrait de donnes à certains mots un sens plus flexible et plus global. C'est ainsi que, selon Xavier Léon-Dufour, "ceci est mon corps" pourrait se traduire par "ceci c'est moi". Car le mot "corps" (basar) peut être remplacé par un pronom personnel. On pourrait aussi admettre que le démonstratif "ceci" pourrait désigner le geste du partage. Ainsi la présence n'a rien de statique ni d'un en soi et porterait sur le geste plus que sur les objets.

Avec le geste, on pourrait traduire: "ce partage c'est moi, faites-en toujours autant" . Ainsi, communier c'est s'enga-ger à partager.

b) La "messe"

La deuxième partie de la messe s'appelle "la liturgie de la table". Il s'agit d'un partage au cours d'un repas, autour d'une table. L'une des étymologies possibles du mot messe, pourrait justement être la table, comme mensa en latin et en italien, ou mesa en espagnol. Dans la même étymologie il y a commensal (qui mange à la même table), sans compter l'anglais mess, qui signifie la table ou la salle à manger, qui vient de l'ancien français mes, qui a donné les mets. L'important n'est ni le repas, ni ce qu'on mange, ni la table, mais tout est dans le partage.

Tout est dans le partage

Souvenir d'un geste symbolique au cours d'un repas, un geste de partage, autour d'une table. L'important n'est ni le repas, ni ce qu'on mange, ni la table, mais le geste du partage. D'ailleurs longtemps on l'avait appelé "la fraction du pain", comme ce fut à ce geste que les disciples d'Emmaüs le reconnurent. Traduisons:" le partage du pain".

C'est pourquoi Xavier Léon-Dufour a donné pour titre à l'un de ses ouvrages: Le partage du pain eucharistique. Dans plusieurs ouvrages Maurice Zundel va dans le même sens.

La multiplication des pains (Mt 14.13-21)

L'épisode de l'Evangile qu'on appelle "la multiplication des pains" est souvent pris comme un miracle physique, d'un pain on en tire des milliers, un peu comme le miracle de la farine et de l'huile de la veuve de Sarepta (1 R 17). Mais on peut plutôt l'interpréter comme une multiplication du geste de partage: dès qu'il y en a un qui partage, cela incite d'autres à en faire autant et il y en a pour tout le monde. Le miracle est d'avoir entraîné les gens à partager. La présence réelle est une présence qui incite à partager.

Les mots pour le dire

Dans les premiers siècles, la célébration de la dernière Cène s'est appelée "le repas du Seigneur" ou encore "la fraction du pain".

Cette célébration nous appelle certes à rendre grâces, d'où sa désignation plus récente par le mot "Eucharistie". Mais on a remplacé des termes concrets en langue parlée, par un terme abstrait, en grec. Traduirait-on, et appellerait-on "remerciements" nos messes ? Le terme de messe aussi s'est obscurci.

"Rompre le pain est en soi et n'engage à rien, mieux vaut évoquer "le partage" du pain et du vin.

Nos prières eucharistiques

Dans la rédaction des deux premières prières eucha-ristiques post-conciliaires, on a veillé à dire que le pain et le vin "deviennent pour nous corps et sang" du Christ. Je m'étonne et regrette que dans les deux autres on se soit contenté de dire "deviennent corps et sang" du Christ. Cette formulation ainsi réduite risque d'être interprétée comme un en soi et, comme le stigmatise Zundel, "un rite magique qui précipite Jésus sur la terre" (in Avec Dieu dans le quotidien, p.115)

De toute façon ce n'est pas le dernier mot du sacrement, car pour en bénéficier il ne suffit pas d'y participer passi-vement et sans aucun engagement.

La taille de la communauté

Lors de la dernière Cène, nous est-il rapporté, il y avait avec Jésus les douze Apôtres, mais comme cela est parfois mentionné expressément ailleurs, nous pouvons ajouter : "sans compter les femmes et les enfants", les douze étant comme chefs de famille. Combien étaient-ils en tout ? Ils pouvaient avoir été jusqu'à une centaine. Car c'était un repas pascal ou pré-pascal, donc avec la famille, la famille élargie.

En effet, à l'une des premières réunions mentionnée dans Act 1.15, il nous est dit: "Pierre se leva au milieu des frères, ils étaient réunis au nombre d'environ cent vingt personnes…"

La taille de l'assemblée et la disposition des participants sont déterminants pour favoriser ou décourager les possibilités d'échanger et de fraterniser. Lorsqu'on est une vingtaine de personnes, et parfois jusqu'à une centaine, où tout le monde finit par se connaître, c'est encore à taille humaine.

C'est autrement convivial que des foules de 500 participants, 1000 ou plus.

La concentration urbaine a fait remplacer les petites paroisses rurales, où tout le monde se connaissait, par des paroisses urbaines de 10.000 à 50.000 habitants qui ne se connaissent pas. Ce changement d'échelle a des implications et des conséquences psychologiques, sociales et spirituelles qu'on a cru pouvoir sous-estimer, alors que le nombre élevé de participants change la nature des échanges possibles

La présidence

Dès qu'on est un groupe de plus de 4 ou 5 personnes, il est inévitable qu'il y ait une présidence, mais si c'est pour satisfaire un besoin d'ordre sociologique, il suffit de convenir d'y désigner le doyen d'âge ou, à tour de rôle, l'un ou l'autre. Il est de tradition que la présidence soit assurée par une personne agréée sachant lire, donc jusqu'ici un clerc, mais cela pourrait évoluer, comme l'expéri-mentent bien des Communautés de base. D'ailleurs dans les Actes des Apôtres, les personnes qui recevaient le groupe présidaient la réunion et la célébration.

Dans un groupe à taille humaine (de 10 à 30 personnes), où l'on aurait échangé ensemble de façon égalitaire et fraternelle, où l'on aurait parfois pris un repas en commun, la présidence, si même elle devait rester marquée, n'a plus le même caractère. Elle se fera modeste et fraternelle et n'interviendra que pour assurer un minimum de régulation ou de modération.

D'ailleurs les trois propositions rapportées de la dernière Cène: "Prenez et mangez, ... Prenez et buvez, ... Faites cela" sont adressées aux mêmes auditeurs et exprimées sur le même mode. Si l'on en a réservé aux presbytres la troisième proposition, c'était sans doute pour satisfaire la coutume qui faisait présider par un doyen d'âge et aussi, par prudence, qui serait agréé. D'un état de fait on est passé à un état de droit en réservant très strictement cette fonction aux "clercs".

Mais comme le dit le Cardinal Ratzinger, "les Douze représentaient ... (tout) le peuple nouveau qu'on appellera Eglise. C'est le Christ qui invite au repas et le préside".

Bien qu'il soit utile qu'il y ait un animateur ou président agréé et dont le rôle varie en fonction de la taille du groupe réuni, c'est toute la communauté qui célèbre ou concélèbre.

La transsubstantiation.

Encore un mot qu'il faut, si on le retient, interpréter pour éviter les malentendus. C'est un mot médiéval dont la traduction est ambiguë. Le Père Sesboué fait remarquer qu'il est la source d'une confusion inextricable: quel rapport entre les espèces du pain et du vin et la présence du Christ qui s'y rattache? Ce terme retenu par le Concile de Trente en 1551 veut dire que leur "substance" – au sens médiéval, ou l'essentiel signifié – devient celle du corps et du sang du Christ. Nous dirions aujourd'hui l'essentiel de ce que cela représente, alors que la "substance" serait la nature physique des "espèces" qui, elle, ne change pas: le pain reste du pain, le vin du vin.

Pour éviter une interprétation chosiste ou magique, St Thomas a précisé que la présence du Christ n'est ni localisable ni physique. On est tenté de dire que c'est une présence symbolique, tout en étant réelle et efficace.

Le théologien luthérien Jeremias a proposé de dire que les espèces représentent le corps et le sang du Christ. D'ailleurs dans sa lettre aux Corinthiens, St Paul a écrit non pas que le pain que nous rompons est le corps du Christ, mais qu'il est communion à son corps. On voit qu'il y a des nuances à respecter.

Nous avons l'expérience dans la vie courante que la signification d'un objet peut changer, sans que change sa nature physico-chimique (un objet qui serait un cadeau, un papier qui serait la lettre d'un ami).

On ne peut pas dire que le pain devient le corps du Christ, mais il le devient pour nous. Si le pain et le vin demeurent physiquement inchangés, leur signification pour nous a changé. D'où le terme proposé en alternative il y a déjà plus de 50 ans par le Père de Montcheuil et repris par le Père Schillebeeckx, de "transsignification"

Pratiquer le partage c'est être la providence les uns des autres. Mais pour autant, sommes-nous seuls ou bien Dieu intervient-il dans l'Histoire et comment le fait-il ?


"JE CROIS, MAIS PARFOIS AUTREMENT" , Paul Abela
Edition L'Harmattan, collection "Chrétiens autrement" 160p. 14€,
ou chez l'auteur, 15 € port compris (52 rue Liancourt, 75014 Paris) 


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